vendredi 20 juillet 2012

Le Ciné-Club de Monsieur Bobine

Adeptes de la grande toile, bonsoir. Ce qui est bien avec internet, c'est que nous pouvons y trouver de tout, pour le pire comme pour le meilleur. D'où mon envie de faire découvrir à ceux qui la connaitraient pas encore une émission hélas irrégulière mais particulièrement intéressante : Le Ciné-Club de Monsieur Bobine. A chaque numéro, Monsieur Bobine revient sur un classique du cinéma et sa face cachée, au moyen de nombreuses anecdotes et explications absolument passionnantes. Un programme indispensable pour tout cinéphile un tant soit peu curieux. Ci-dessous une de ces vidéos, bonne séance à tous.


samedi 14 juillet 2012

The Man from Earth (2007)

The Man from Earth est une œuvre intéressante à plus d'un titre. Déjà, il s'agit de ce que nous pourrions appeler un succès d'internet, puisque ce film a connu le succès auprès du public français par le biais des forums et des blogs centrés sur le cinéma ; si bien qu'un éditeur français a fini par le proposer en DVD, plusieurs années après sa sortie américaine. Sans ce phénomène, qui s'explique par ses grandes qualités, jamais un tel film - avec son petit budget, ses acteurs inconnus "mais que nous avons l'impression d'avoir déjà vu quelque part", et son obscur réalisateur - n'aurait suscité l'attention d'une maison d'édition de l'Hexagone.

Le scénario a été écrit par Jerome Bixby, un romancier américain de SF et scénariste sur quelques épisodes de Star Trek et de Twilight Zone ; un passé télévisuel dont il n'a pas à rougir, puisqu'un écrivain célèbre comme Richard Matheson a lui-aussi travaillé sur Twilight Zone.

Si j'ai commencé par parler du scénariste, il ne s'agit en rien d'un hasard, puisque plus que beaucoup d'autres productions, The Man from Earth brille avant tout pour son scénario.
John Oldman est professeur d'histoire dans une université américaine. Du jour au lendemain, il décide de démissionner et de déménager, sans même en avertir ses collègues. Ceux-ci, curieux et un peu vexés, décident d'organiser un pot de départ chez lui, et d'en profiter pour lui demander des explications. Il se lance alors dans une histoire dont ils n'en croiront pas leurs oreilles : il est né il y a 14.000 ans, il ne vieillit pas, et il doit changer de vie régulièrement pour ne pas que son secret soit exposé. S'engage alors une joute entre John et ses amis, qui vont tout faire pour trouver des failles dans son récit.

The Man from Earth se présente comme un film en huis-clos, puisqu'il se déroule entièrement dans la maison de John, ou juste à l'extérieur de celle-ci. L'action se limite à une seule soirée, uniquement animée par les récits de John, confronté à des amis incrédules qui se demandent sans cesse s'il les mène en bateau - et si oui, pourquoi ? - ou s'ils sont en train d'apprendre un des plus grands secrets de l'histoire de l'humanité. Le spectateur n'est pas plus avancé qu'eux, puisque le narrateur n'a rien d'autre que sa parole pour étayer son propos.

Le seul moyen d'obtenir une réponse franche serait de trouver des incohérences dans ses paroles, qui prouveraient qu'il leur ment depuis le début. Or, les protagonistes ne sont pas n'importe qui, puisqu'ils enseignent tous à l'université - à une exception près - dans des domaines différents qui plus est : l'archéologie, l'anthropologie, la biologie,... Mais même ainsi, l'histoire de John semble trop parfaite, il a réponse à tout.
Ce qui avait commencé comme un jeu pour le groupe, un simple exercice intellectuel basé sur un concept simple - "Un homme pourrait-il avoir vécu 14.000 ans, et si oui à quoi ressemblerait-il aujourd'hui ?" - va vite se transformer en une situation malsaine, entre John qui va de plus en plus loin dans les détails incroyables sur sa vie, et des scientifiques qui n'arrivent plus du tout à démêler le vrai du faux, et qui en viennent à douter de la santé mentale de leur ami.

De par sa construction et l'intelligence de ses dialogues, The Man from Earth réussit le pari incroyable de ne jamais lasser le spectateur tandis qu'il assiste à une longue discussion entre scientifiques. Nous observons même une véritable montée de la tension, alors que nous nous interrogeons tout le film quant à l'identité réelle de John, et que nous essayons nous-aussi de déceler la vérité derrière ses paroles. Les acteurs jouent juste, le réalisateur se contente d'un style simple et posé mais qui convient à la perfection à ce récit intimiste et pourtant extraordinaire. Sans bouger (ou presque) d'un salon dépouillé, rien que par le pouvoir de l'imagination, le narrateur emmène ses amis, et avec eux les spectateurs, vers un monde et des possibilités qu'ils n'avaient jamais imaginé. 
Brillant, captivant, The Man from Earth nous prouve qu'il est inutile d'avoir un budget pharaonique et des myriades de vaisseaux spatiaux pour créer un film de science-fiction mémorable.

jeudi 12 juillet 2012

Prophecy (2012)

Cas atypique que celui du mangaka Tetsuya Tsutsui, qui fait écho à celui de son éditeur Ki-oon.
Ki-oon est à l'origine une petite maison d'édition, montée par deux passionnés débrouillards et persévérants, devenue depuis le principal éditeur indépendant de manga en France. En prospectant puis en proposant au public leurs propres coups de coeur, ils ont réussi non seulement à générer quelques bons succès commerciaux, mais aussi à se constituer une solide base de lecteurs fidèles. 
Leur première grosse pioche fût Tetsuya Tsutsui, mangaka qu'ils ont découvert avant même qu'il ne signe avec un éditeur japonais, et auteur de plusieurs titres percutants largement plébiscités dont ils gèrent désormais les droits d'exploitation à l'international.

Il ne s'agit pourtant pas d'un artiste prolifique, puisqu'il n'avait produit, avant la publication du premier tome de Prophecy, que deux one-shots et une série en trois volumes. De plus, il s'agit d'un auteur controversé, certains lui reprochant la violence de ses histoires voire leur côté radical ; les critiques n'ont pas non plus été tendres avec Manhole, sa seule série "longue", considérée comme moins intéressante que ses deux one-shots malgré un traitement original du récit de contagion.
Alors, Tetsuya Tsutsui, simple phénomène déjà en bout de course ? L'homme de deux tomes et qui ne produira jamais plus rien de valable ? Le premier volume de Prophecy apporte un début de réponse.

Pour lutter contre la cybercriminalité, la police japonaise a mis en place une unité spéciale habilitée à agir sur le terrain. Si leur quotidien est fait essentiellement de petits délits, comme la mise en ligne de contenu protégé par le droit d'auteur, ils doivent désormais faire face à un nouveau problème : un mystérieux hackeur nommé Paperboy, qui se pose comme défenseur du peuple et s'arroge le droit de punir les criminels à sa façon. Dans des vidéos mises en ligne et devenues rapidement extrêmement célèbres, il annonce à l'avance qui il punira, comment, et pourquoi. Au début, tout le monde prenait cela pour un canular. Mais lorsque les prophéties commencent à se réaliser, la nouvelle brigade anti-cybercriminalité se lance sur la piste du mystérieux Paperboy.

Prophecy se place dans la même ligne directrice que les manga précédent de l'auteur : un thriller vif, sans temps mort, et captivant. Cette fois, il prend en toile de fond internet, les réseaux sociaux, mais aussi les nombreuses informations personnelles que beaucoup d'internautes dévoilent à leur sujet, et qui vont ici permettre à Paperboy d'identifier ses victimes, pour les punir de manière de plus en plus violente. Le principe ressemble un peu à celui de Reset, son second récit, où un enquêteur traquait le concepteur d'un jeu virtuel à travers son propre univers. Sauf que là où Reset s'arrêtait à un environnement ciblé, très spécifique, Prophecy joue la carte du phénomène de société, et de l'impact de Paperboy sur la population.

Comme Tetsuya Tsutsui passe pour un auteur assez superficiel qui s'intéresse surtout à l'efficacité et au rythme de son récit, utilisant l'univers qu'il crée plus comme toile de fond, difficile de savoir s'il cherche à dénoncer certaines dérives d'internet ou s'il ne s'agit pour lui que d'un moyen pour mener son histoire. De la même façon, prône-t-il la justice personnelle et la lutte contre le système comme celles exercées implacablement par Paperboy ? Impossible de le savoir, et cela n'a aucune importance chez un tel mangaka. Dans ses manga, seul importe véritablement la vivacité du scénario, l'impact provoqué chez le lecteur. Et cela fonctionne toujours aussi bien, aidé par un dessin clair et percutant.

Ce premier tome de Prophecy passe comme une lettre à la poste, mais il convient tout de même de se méfier en raison du passé de l'auteur. Ses deux manga court - Reset et Duds Hunt - sont de petites boules de nervosité d'une efficacité redoutable, tandis que le premier tome de Manhole, lui-aussi réussi, cachait un titre finalement médiocre. Tetsuya Tsutsui a-t-il appris de ses erreurs passées pour nous offrir avec Prophecy un manga qui tiendra le rythme sur plusieurs tomes, ou la série s'écroulera-t-elle en route ? Trop tôt pour le dire, mais en attendant d'obtenir une réponse définitive, les deux one-shots de l'auteur restent des lectures recommandées.

mercredi 4 juillet 2012

Ashita no Joe (1968)

Pour chaque média, il existe des œuvres dont le succès et l'impact furent tels que nous pouvons encore en trouver des traces dans la production actuelle. Dans l'univers du manga, peu de séries peuvent se targuer d'avoir exercer une influence comparable à celle de Ashita no Joe, titre culte signé Asao Takamori et Tetsusya Chiba.
Nombre d'archétypes du shônen - le manga pour jeunes garçons - qui nous paraissent aujourd'hui évidents proviennent en réalité de Ashita no Joe, comme le héros orphelin, la figure du maître, ou le constant dépassement de soi.

Malgré sa renommée comme série de boxe, celle-ci commence comme un drame social, dans un Japon oublié par la reprise économique d'après-guerre. Nous y découvrons Tange Danpei, ancien champion de boxe désormais estropié et réduit à l'état d'ivrogne. Miséreux et sans volonté, il se découvre un nouveau rêve en la personne de Joe Yabuki, adolescent vivant de rapines et de petites arnaques, en qui il croit déceler le potentiel de devenir l'étoile de la boxe japonaise moderne. Mais celui-ci ne porte aucun intérêt au sport et à la compétition, et ne cherche qu'à amasser le plus d'argent possible.
Envoyé en maison de redressement suite à un énième délit, Joe y croise la route de Tohru Rikiishi, jeune champion de boxe. Une rivalité nait entre les deux garçons. Dès lors, Joe se lancera à corps perdu dans le combat, sous la direction de Danpei.

Le plus gros défaut de Ashita no Joe, c'est probablement son influence. Les élément qui, lors de sa publication, l'ont démarqué du reste de la production et ont fait son succès ont pour beaucoup été repris dans d'autres séries, et se retrouvent encore de nos jours. Ainsi, pour le lecteur actuel, ce manga ne paraitra pas spécialement original. Évidemment, ce n'est pas "juste" envers un tel pionnier ; mais pour l'apprécier pleinement, il faudrait se remettre dans le contexte de l'époque et oublier tous les manga publiés depuis. Ce qui n'est pas réalisable, à moins de découvrir les manga.

Heureusement, Ashita no Joe a su conserver quelques-unes de ses qualités propres. A commencer par son aspect dramatique, en particulier sur le début de la série. Surtout connu pour ses combats de boxe, le premier tome de l'édition Glénat surprend par son héros qui ne s'intéresse absolument pas à ce sport, et par la misère humaine qu'il dépeint, comme un instantanée d'une réalité japonaise loin des gratte-ciels et du modèle économique nippon. Intéressant sur le plan historique, il s'agit surtout d'une entame passionnante et poignante.

Le drame reste d'ailleurs une composante majeure de ce manga, qui ne se retrouve plus vraiment - ou alors sous une forme édulcorée - dans les shônen modernes. Quitte à finir brisés, les personnages luttent littéralement pour leur vie ; pour exister, mais aussi car ils ne possèdent rien d'autre que le combat.
Le résultat n'en devient que plus poignant. Une anecdote célèbre à propos de Ashita no Joe raconte comment, à la mort d'un des protagonistes, des lecteurs ont spontanément organiser un enterrement symbolique, ce qui au passage témoigne encore un peu plus de son impact sur les lecteurs.
L'autre point fort du manga reste la mise en page dynamique des combats, qui permet de les rendre toujours plus palpitants sans pour autant sacrifier leur lisibilité.

Ashita no Joe est un manga plein de fougue, de sang, et de sueurs. Un manga qui exalte des valeurs intemporelles comme le courage et la volonté de se surpasser quoi qu'il puisse arriver, mais qui prend racine sur un drame réel duquel les personnages veulent justement s'extirper, quitte à y laisser la vie. Malheur à ceux laissés sur le bord du chemin sur la route qui mène à la gloire.
Il n'aura pas aujourd'hui autant d'impact qu'il en avait lors de sa publication, tant son schéma a été depuis exploité jusqu'à la corde, que ce soit par des profiteurs ou tout simplement par des lecteurs profondément marqués par le titre. Reste un manga majeur dans l'histoire de ce média, dont la parution en France par Glénat est aussi appréciable qu'inespérée.